Crescendo Magazine – Scènes et Studios – Au Concert

Le 11 octobre 2022 par Paul-André Demierre

En ce mois d’octobre 2022, la Société Frédéric Chopin de Genève, unique en son genre dans toute la Suisse, fête son vingt-cinquième anniversaire. Pour commémorer dignement cet événement, Aldona Budrewicz-Jacobson, son infatigable Présidente, a décidé de présenter en huits concerts l’intégrale de la musique pour piano seul de Fryderyk Chopin. En quatre lieux différents se produisent huit artistes provenant de divers pays, dont cinq venus de Pologne.


Samedi 8 octobre, en la Salle des Abeilles du Palais de l’Athénée, était affiché Michał Drewnowski, natif de Varsovie, fils de Marek Drewnowski qui avait inauguré le Festival Chopin en assumant le premier récital du 7 mars 1998. Outre une florissante carrière qui l’a amené à prendre part à de nombreux festivals internationaux, il est actuellement professeur de piano et de musique de chambre à l’Université de Musique de Lodz. Et c’est assurément cette curiosité intellectuelle qui le pousse à ouvrir son programme avec une pièce rarement jouée, le Rondò en ut mineur op.1, achevée en mai 1825 par un compositeur alors âgé de… quinze ans. Michał Drewnowski énonce le motif initial avec une élégance qui allège l’abondante ornementation tout en la soutenant par le rythme scandé d’une polonaise de salon. Puis il propose les Quatre Mazurkas op.33 datant de 1838, en négociant à un tempo extrêmement rapide la Deuxième en ré majeur dans le but d’établir un contraste avec les trois autres, profondément nostalgiques. Les Deux Nocturnes op.37 prennent un côté oratoire surprenant, ce qui rend parfois le trait anguleux ; mais ce défaut s’estompe dans les deux chorals médians, empreints de recueillement. Les Deux Polonaises op.40 affichent une farouche grandeur. A un tout autre niveau parviennent les Variations en si bémol majeur op. 12 basées sur le thème « Je vends des scapulaires » extrait de Ludovic, opéra de Louis-Ferdinand Hérold achevé par Fromental Halévy. Car le pianiste y fait valoir une maîtrise technique hors du commun en déjouant les pièges d’une écriture virtuose des plus périlleuses. Les Mazurkas op.7, éditées en 1832, suivies des trois de l’opus 63 datant de 1846, allient un rubato profondément ressenti à une volubilité brillante, quitte à en perdre de vue la ligne mélodique dans la Quatrième en la bémol majeur de l’opus 7. Et le programme s’achève par le Rondò en mi bémol majeur op.16, de démoniaque difficulté par l’accumulation des traits rapides constituant une torrentielle ornementation. L’impact sur le public est immédiat. Et l’artiste y répond avec bonhommie en offrant en bis la Valse en mi mineur (ex n.14) opus posthume.


Le lendemain, dimanche 9 octobre, en la Salle des Nations de l’Hôtel des Bergues, lui succédait Aleksandra Świgut, très jeune lauréate du Premier Concours Chopin sur instruments anciens à Varsovie, ex-élève de l’Université de Musique Fryderyk Chopin où elle enseigne aujourd’hui.


Souriante de gentillesse sous un abord timide, elle commence son programme par la Barcarolle en fa dièse majeur op.60 qu’elle conçoit comme une libre improvisation en déroulant les labbellimenti avec une fluidité évanescente que corsera brusquement l’enchaînement d’accords expressifs avant de se diluer en un frissonnement rapide. La Deuxième Balade en fa majeur op.38 tient de l’incantation mystérieuse que déchirent sauvagement les doubles croches du Presto con fuoco soutenues par les octaves menaçantes de la main gauche ; un léger décalage calculé entre les deux mains débouchera sur des trilles enchaînés propulsant l’Animato conclusif. La Mazurka en la mineur op.67 n.4 n’est qu’une parenthèse élégiaque avant d’affronter les Variations sur « Là ci darem la mano » op.2 rédigées en 1827 avec accompagnement d’orchestre, mais présentées ici dans la réduction pour piano solo. Aleksandra Świgut s’ingénie à affirmer le motif mozartien avec une extrême clarté sous la volubilité des passages de bravoure véritablement ébouriffants qui vous tiennent en haleine jusqu’à la stretta conclusive.


En seconde partie, les Quatre Mazurkas op.30 jouent à nouveau sur ce décalage entre les mains qui fait passer de la poésie intime à l’espièglerie, de la fougue à l’élégie racée. La pianiste enchaîne ensuite les deux derniers Scherzi, l’opus 39 en ut dièse mineur, de sombre grandeur, laissant affleurer d’aériennes cascades de croches concluant sur une stretta, prise à une vitesse exagérée, tandis que l’opus 54 en mi majeur paraît mieux cadré avec sa ligne mélodique miroitant sous les volutes d’embellissement, avant de s’extérioriser dans le Più lento médian. Par une autre page sans orchestre, l’Andante spianato et Grande Polonaise en mi bémol majeur op.22, elle conclut brillamment son récital en enveloppant d’arpèges arachnéens le cantabile se transformant en un duetto passionné. Comme un lever de rideau, la transition en accords claironnants amène la Polonaise proprement dite, pimentée de traits piquants qui fascinent le public.


Et les salves d’applaudissements ô combien méritées se voient remerciées par deux bis magnifiques, la redoutable Etude en fa majeur op.10 n.8 et le Nocturne en ut dièse mineur opus posthume.

En résumé, deux soirées de haute tenue permettant de découvrir nombre de pages insolites de ce génie du piano qu’est Chopin.

Paul-André Demierre

 

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